- Rôles modèles, joli décor, zéro effet
- Karin Warin
- 30 sept.
- 9 min de lecture
Ce qui change vraiment l’accès au capital
Les chiffres 2024 piquent les yeux, parfait, on va s’en servir. En France, trois femmes sur dix sont engagées dans une démarche entrepreneuriale, presque une sur deux dit vouloir créer, pourtant elles n’ont capté qu’une poignée des fonds levés récemment. En 2022, les fondatrices n’ont représenté qu’environ 11 pour cent des montants levés. Et pour les entreprises déjà plus grosses, les dirigeantes s’évaporent, 12 pour cent à la tête des PME ETI, puis la part baisse encore quand la taille grimpe. Voilà le décor.[1][2]
“Nous n’investissons pas sur ce qui est invisible, nous investissons sur les survivants.”
Cette phrase raconte l’angle mort de l’écosystème. On sélectionne ce qui a déjà survécu au parcours du combattant, chiffres rassurants, traction déjà visible, réseaux déjà en place. Ce filtre a l’air rationnel, il est surtout myope.
Le vrai biais, c’est le survivant
On ne regarde que les tours réussis et on oublie les dossiers refusés pour de mauvaises raisons. Traduction: on apprend des victoires, jamais des “non” biaisés, donc on répète les mêmes erreurs de sélection.
On juge la performance du pitch, pas la qualité des questions posées par l’investisseur. Traduction: on récompense l’éloquence et le vernis, pas la capacité à clarifier le risque des deux côtés.
On suit la vitesse à laquelle l’argent sort ou rentre, sans vérifier si on a bien nommé le marché. Traduction: on mesure ce qui bouge, pas si on vise juste, donc on sous‑estime des marchés mal étiquetés* (je vous donne un exemple concret à la fin)
On s’emballe pour un gros signal unique et on passe à côté d’un manque d’argent chronique sur tout un segment. Traduction: on finance l’exception visible et on ignore la sous‑allocation structurelle.
Résultat prévisible, plus l’entreprise grossit, moins on voit de femmes aux manettes, logique circulaire, on n’investit que là où d’autres ont déjà investi. Les chiffres de 2024 confirment l’ascenseur qui tombe en panne à partir d’un certain étage.[1]
Le syndrome de l’imposteur, vraiment ?
Je ne nie pas le doute, il est utile quand il sert la clarté. Mais le “syndrome de l’imposteur au féminin” est trop souvent l’explication paresseuse qui renvoie la cause à la personne et dédouane le système. Appelons les choses par leur nom : sous‑confiance induite par des normes de pitch masculines, manque de rôles modèles visibles, grille de lecture sectorielle datée, réseaux fermés, critères de risque taillés sur un profil majoritaire. Les données de 2024 parlent de stéréotypes qui pèsent sur l’accès au financement, elles parlent d’envies de créer plus fortes chez les femmes, elles ne parlent pas d’incompétence.[1][2]
Ce que les investisseurs ratent quand ils “sélectionnent les survivants”
Des marchés sous‑adressés, donc moins concurrencés, plus rentables à horizon raisonnable
Des modèles frugaux en capital, moins glamour, plus robustes, meilleurs retours risqué‑ajusté
Des équipes qui convertissent l’adversité en discipline d’exécution, la résilience n’est pas un slogan
Et non, le contexte n’a pas aidé, l’écart de financement s’est même creusé selon des données récentes du capital‑risque, ce qui valide l’hypothèse du filtre qui durcit en période d’incertitude.[1]
Approfondir le constat, 2024‑2025 en 5 repères
Intention et engagement en hausse : 3 femmes sur 10 engagées en 2024, et près d’une sur deux qui déclare vouloir créer[1].
Créations stabilisées autour d’un tiers, avec fortes disparités régionales et sectorielles (services, santé‑action sociale en tête)[2]. et la #Normandie en Number One ! bravo https://femmesetchallenges.fr/
Direction d’entreprises : 12 % de dirigeantes sur le périmètre PME‑ETI, et la part décroît avec la taille de l’entreprise[3].
Accès au capital : 11 % des montants levés pour des fondatrices dans la période récente citée, malgré une appétence forte[1].
Contexte global : la peur de l’échec progresse depuis 2019 selon GEM, ce qui durcit encore l’aversion au risque des comités[4].
Rendre l’invisible investissable
Rien n’oblige à rester aveugle. On peut rendre le potentiel visible, sans se travestir.
Nommer le problème avec des preuves, sans excuses
Montrez la demande réelle : pipeline signé, cohorte qui retient, marge brute qui respire
Traduire votre traction dans la grammaire financière que l’interlocuteur comprend
Unité économique, coûts d’acquisition, délai de retour du coût d’acquisition, scénarios de trésorerie
Reconfigurer le pitch comme une démonstration de gestion du risque
Hypothèses, tests, “critères d’arrêt”, décisions prises, décisions à venir
Aligner le format au moment de vie de l’entreprise
Si vous êtes frugal en capital, assumez‑le : vous n’êtes pas “petit”, vous êtes précis
Ancrer votre légitimité dans les faits
Clients revenus, contrats renouvelés, recommandation payante, revenus récurrents
Méthode anti‑biais pour aller chercher des fonds, concrètement
Objectif : neutraliser quatre biais fréquents des comités (similarité, disponibilité, confirmation, aversion aux pertes) par des livrables lisibles.
Semaine 1 — La preuve, en 30 secondes
Trois cartes “avant → après” (trois cas clients)
Problème en 1 phrase
Intervention en 1 phrase
Un chiffre utile et daté + taille d’échantillon
Note de satisfaction moyenne sur 10 + citation signée
Règle d’or : pas d’anglicismes, pas de poudre aux yeux. Des faits.
Semaine 2 — Le pitch orienté risque
Une slide “Ce que nous savons / Ce que nous testons / Ce que nous arrêtons”
Une page “chiffres clés” sans jargon :
Coût par personne touchée
Temps gagné dans une décision récurrente
Incidents évités par mois
Délai moyen de résolution d’un conflit
Proportion de fin de parcours
Semaine 3 — Ouvrir le regard, écrire les retours
6 à 9 prises de contact hors premier cercle (réseaux sectoriels, pairs, décideurs publics)
Grille de feedback écrite sur 4 axes : clarté du problème, adéquation budget, impact perçu, risque principal “en une phrase”
Semaine 4 — Jalon public et cadence
Un jalon à 8 semaines puis 12 (une métrique unique, datée, responsable nommé)
Mise à jour hebdomadaire courte, publique ou adressée aux parties prenantes
Cas d’école, non promotionnel : si Magna‑up devait lever pour déployer nationalement une méthode de “management équilibré”
Hypothèse de travail (exemple) : déployer une méthode qui conjugue performance durable et respect des dynamiques humaines, auprès de PME, ETI et établissements publics de santé, jusqu’à faire émerger une norme managériale.
Semaine 1 — Dossier factuel
Trois cartes “avant → après”, une par segment
PME (équipe commerciale) : réunions tendues → rituel hebdo installé, retards internes divisés par deux en 6 semaines, incidents 8→3/mois, période datée, satisfaction 8,4/10 (31 répondants), citation signée
ETI (unité de 50 managers) : malentendus récurrents → 2 pratiques de retour d’expérience adoptées par 60 % des équipes en 8 semaines, intention de départ en baisse (enquête interne datée), citation du VP Opérations
Santé publique (service de 40 soignants) : transmissions hachées → micro‑modules 30 min + médiations courtes, transmissions en retard −19 %, arrêts maladie −11 % sur 8 semaines, satisfaction 8,6/10, citation du cadre supérieur
Hypothèses et critères d’arrêt clairement écrits (acquisition par canal, impact à 8 et 12 semaines, panier moyen par segment)
Semaine 2 — Neutraliser les biais des comités
Trois slides “Savoirs / Tests / Arrêts”, une par segment, datées, avec prochain jalon
Une page “chiffres clés” par segment, cinq nombres utiles (coût par personne, temps gagné, incidents évités, délai de résolution, proportion de fin de parcours)
Une slide “Ce que vous ratez si vous regardez comme d’habitude” : coût vs coaching individuel, vitesse d’effet (8 semaines), couverture d’équipe (large vs élite)
Semaine 3 — Prises de contact structurées
9 rendez‑vous hors premier cercle (3 par segment) : réseau dirigeants, cabinets “learning”, directions hospitalières et ARS/écoles de cadres
12 grilles de feedback écrites, comparables, décisions actées en fin de semaine
Semaine 4 — Jalon public et calendrier nationaux
PME : 10 équipes actives, proportion de fin de parcours ≥ 70 %, satisfaction ≥ 8/10 (date précise)
ETI : 1 unité pilote, incidents déclarés −20 % à 8 semaines
Santé : absentéisme −10 % et progression du climat à 12 semaines
Calendrier de passage à l’échelle à 90 et 180 jours (indicateurs, responsabilités, risques et parades)
Structure du tour (exemple)
Objet de la levée : industrialiser 3 offres compatibles privé/public, produire la preuve à l’échelle, bâtir des partenariats de diffusion et une mesure d’impact robuste
Usage des fonds : contenus pédagogiques et outillage de médiation (santé/ETI), canaux de diffusion (réseaux et partenaires), tableaux de bord d’impact par cohorte
Gouvernance : comité de suivi trimestriel, revue “Savoirs / Tests / Arrêts”, transparence sur les arrêts et remplacements
Pourquoi ce format limite les biais
On montre des faits brefs et comparables, on réduit le “ressenti”
On cadre la discussion sur des décisions, pas sur des jugements
On assume une discipline d’exécution avec jalons proches et révisions régulières
Côté investisseurs, trois questions simples pour arrêter de n’investir que sur les survivants :
Que se passe‑t‑il si j’évalue ce dossier sans proxy de réseau et sans effet halo ?
Quelle part de mon process matérialise des stéréotypes sectoriels non mis à jour ?
Qu’est‑ce que je ne vois pas parce que je ne l’ai pas appris à voir ?
Dans le détail ça donne :
Cadrez le “comment” décider
Installez une grille de lecture standard par stade
Pre‑seed/seed: problème douloureux, preuve de demande (AVANT→APRÈS), vélocité d’apprentissage, coût d’acquisition initial
Série A: rétention de cohorte, marges brutes, délais de décision client, payback
Série B+: unité économique par segment, efficacité capital, qualité du management middle
Référence de classe systématique
Comparez le dossier à un échantillon de deals passés “semblables” (marché, panier moyen, cycle de vente) et notez l’écart
Réduisez les biais dans le process
Pré‑lecture “à l’aveugle” sur un résumé standardisé
Masquez identité, réseau, école, pour la première passe
“Second lecteur” indépendant
Un lecteur qui n’a pas vu le pitch rédige un avis synthétique avant la réunion IC
Journal de questions
Tracez toutes les questions posées, classez‑les par type (clarification, risque, marché) pour vérifier qu’on ne “cherche que des confirmations”
Avocat du diable tournant
Une personne désignée argumente le “non” avec données, une autre le “oui”, puis synthèse
Regardez aussi les “faux négatifs”
Post‑mortem trimestriel des refus
Sélectionnez 10 dossiers refusés et re‑scôrez‑les à froid avec la grille actuelle
Capturez les données des “non”
Motif codé, métrique manquante, biais perçu, et date possible de re‑revue
Posez de meilleures questions
Trois questions invariantes en IC
Quel est le coût du changement chez le client, preuves à l’appui
Quelle preuve indépendante montre que le marché est mal nommé ou sous‑estimé
Quelle décision prend l’équipe si l’hypothèse clé est invalidée à 60 jours
Timebox Q&A
50% des questions sur le risque et la réversibilité, 50% sur l’opportunité et la vitesse
Exigez des livrables simples, comparables
Carte “preuve” en 30 secondes
Problème en 1 phrase, intervention en 1 phrase, 1 chiffre utile et daté, taille d’échantillon, note de satisfaction sur 10
Slide “Savoirs / Tests / Arrêts”
Ce qui est établi, ce qui est en cours de test (avec seuil), ce qui a été stoppé et pourquoi
Calibrez l’équipe d’analyse
Diversifiez les profils dans la salle
Un·e opérateur·rice go‑to‑market, un·e data/finances, un·e secteur public ou régulé si pertinent
Formation rapide aux biais décisionnels
2 heures semestrielles, exemples internes, mesures correctives associées
Décidez avec des jalons, pas des hunchs
Term sheets conditionnelles à jalons courts
Un indicateur unique à 8–12 semaines (rétention, délai de décision client, marge brute sur 10 ventes), avec plan de décaissement par étape
Tableau de bord commun
Le même jeu d’indicateurs pour tous les portefeuilles à ce stade, mis à jour mensuellement
Mesurez votre propre qualité de décision
Taux de conversion par profil fondateur/trice et par canal de dealflow
Taux de “surprise” post‑investissement
Surperformances et sous‑performances vs hypothèses IC
Temps moyen consacré aux “non”
Un “non” rapide et documenté vaut mieux qu’un “peut‑être” sans trace
Micro‑changements de forme qui font la différence
Envoyez la grille d’évaluation aux équipes avant le pitch
Interdisez les slides “CV” en début de deck
Lisez la data room 24 h avant, pas pendant le pitch
Coupez tout jugement de forme tant que la page “preuve” n’a pas été lue
Si vous ne deviez faire que trois choses ce mois‑ci
Adopter la slide “Savoirs / Tests / Arrêts” comme exigence standard
Mettre en place un second lecteur indépendant avant l’IC
Tenir un post‑mortem mensuel sur 5 “non” et consigner les apprentissages dans la grille
Si on s'était arrêté à l'analyse habituel ça aurait donné :
Une start‑up vend une solution “outil de feedback d’équipe”. Elle suit de près son cash burn et ses revenus mensuels récurrents. Les chiffres bougent, ça rassure.
Le problème de nommage
En réalité, 70% des clients l’achètent pour “réduire les incidents opérationnels” et “accélérer les transmissions”, pas pour “le feedback”. Le marché réel est “amélioration des opérations d’équipe” chez des PME industrielles et des services hospitaliers, pas “outils RH de feedback”.
Conséquence
Comme l’entreprise se croit sur le marché “RH/feedback”, elle se compare aux mauvais concurrents, choisit les mauvais canaux d’acquisition, et fixe un prix trop bas. Les investisseurs voient:
Run rate qui monte doucement
CAC correct sur LinkedIn Ads “RH”
Churn stable
Ils concluent: “petit outil RH sympa, marché étroit”.
La re‑lecture marché (ce qu’il fallait faire)
En requalifiant le marché autour de “réduction d’incidents et gain de temps dans les transmissions”:
Nouveau persona décideur: directeur des opérations et cadre de santé, pas DRH
Nouvelle preuve: incidents/mois 8 → 3 en 8 semaines, transmissions en retard −19%
Nouveau pricing: passage de 6 €/utilisateur/mois à 890 €/équipe/mois avec SLA
Résultat
Avec le bon nommage:
Taux de conversion x2 sur des rendez‑vous “opérations/santé”
Panier moyen x3
Temps de vente plus court (décideur au bon endroit)
Même run rate initial “bougeait”, mais la thèse marché était fausse, donc sous‑valorisation du potentiel et dossier mal évalué.
Conclusion
Les rôles modèles inspirent, ils ne lèvent pas des fonds. Ce qui déclenche un chèque en 2024‑2025 : des preuves courtes, datées, comparables, et une capacité à décider vite sous incertitude. L’élan est là, l’appétence est là, les chiffres l’attestent. Le goulet est dans le filtre de sélection et la grammaire de la preuve. Bonne nouvelle, cela se travaille en quatre semaines avec des livrables simples, une cadence visible, et des décisions assumées.
Sources utilisées
Indice entrepreneurial 2024, intentions, stéréotypes et accès au financement ; rappel de la part de montants levés captée par des fondatrices[1]
Bpifrance Le Lab, photographie dirigeantes PME‑ETI (12 %, effet taille, secteurs)[2]
France Active 2024, envies de créer, freins de financement et d’endettement[3]
VC 2025, durcissement en période d’incertitude et écart de financement[4]
GEM 2024/2025, progression de la peur de l’échec (contexte global de prise de risque)[5]
Allez à vous de jouer !





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